LE THÉÂTRE : UN VECTEUR DE DIALOGUE ENTRE LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN


LE THÉÂTRE : UN VECTEUR DE DIALOGUE ENTRE LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN

Paris / La Gazette

Lucie Philip, une jeune française en poste à Bakou, écrit et met en scène une pièce de théâtre qui marie les cultures française et azerbaïdjanaise.

Comment expliquer les relations aujourd’hui tendues entre la France et l’Azerbaïdjan, alors que peu de pays ont autant de choses en commun ?

Les deux nations se caractérisent par une abondante production artistique, musicale et littéraire. L’architecture Haussmannienne a fortement influencé l’urbanisme de Bakou. Les échanges culturels et politiques ont de tout temps été riches et fructueux. Mais voilà. Les contingences de politique interne ont éloigné la France de son ancien allié azerbaïdjanais. Pourtant, les Azerbaïdjanais continuent à aimer la France et sa langue.

Beaucoup de Français se reconnaissent aussi dans l’esprit de tolérance, de multiculturalisme qui caractérisent l’Azerbaïdjan. C’est notamment le cas de Lucie Philip, jeune doctorante française qui, après des études à l’INALCO, puis à Moscou, s’est passionnée pour l’Azerbaïdjan. Son travail sur Nizami Ganjavi et le Roman de la Rose a été particulièrement remarqué. Arrivée à Bakou, elle s’est attachée à mettre en valeur les liens culturels entre les deux pays.

Dès son entrée à l’UFAZ, l’Université Franco-Azerbaïdjanaise, avec laquelle elle était, jusqu’à aujourd’hui, (trop brièvement, c’est dommage) en contrat, elle a souhaité contribuer à l’enrichissement des relations culturelles entre la France et l’Azerbaïdjan en montant, avec les élèves francophones de l’université, un spectacle en langue française mettant en valeur les deux cultures.

Monsieur Jourdain et Monsieur Jordan

L’idée est d’unir en un même spectacle deux pièces emblématiques : « Le bourgeois gentilhomme » de Molière et l’« Histoire de monsieur Jordan, botaniste et du derviche Mesteli Chah, célèbre magicien » de Mirza Fath-Ali Akhundzadé. Un spectacle destiné à faire voyager le spectateur entre la France et l’Azerbaïdjan en célébrant la culture, les traditions, la langue française et la langue azerbaidjanaise.

Mirza Fath-Ali Akhundzadé et Molière sont tous deux de grands hommes de théâtre, comédiens, écrivain et penseurs. L’un vient d’Azerbaidjan et l’autre de France. Akhundzadé est surnommé le « Molière oriental », et c’est avec humour et sous les traits de la satire qu’il confronte modernisme et traditions. Entre liberté individuelle et traditions où se situe la place de l’homme dans la société à laquelle il appartient et dans le monde ?

Molière ouvre le ballet du Bourgeois Gentilhomme en insufflant à ses personnages, sous l’apparence de l’humour, la fausseté, la perfidie, la naïveté, la cupidité et la faiblesse humaine. Le paraître, le respect des traditions et de la famille, l’éducation, le savoir et la connaissance sont mis à l’épreuve entre désirs de chacun, traditions de l’autre et fatalité ou condition humaine. Chacun essaie de trouver une fenêtre pour tenter de se définir, simplement d’exister, sans renier sa culture.

Comme Molière, Akhundzadé utilise l’humour et l’ironie pour faire passer ses critiques et son message jusqu’à la chute finale, inattendue. Il met en lumière le discours intellectuel et rigide et le savoir trop abstrait de Monsieur Jordan qui finissent par devenir un frein à l’échange humain. Finalement personne ne se comprend, le dialogue russo-franco-azerbaidjanais devient dérisoire. Cette incompréhension s’illustre notamment lorsque Monsieur Jordan dîne avec la famille du jeune homme, Chabah Bey, qu’il veut par la suite envoyer en France. Nous avons là une confrontation entre deux modes de pensées et deux cultures. Le bourgeois parisien et le jeune intellectuel. Où leur langage, leurs idées et leur esprit se rejoignent-ils ?

Une initiative novatrice pour resserrer les liens entre les deux pays

Le spectacle a été monté en environs six mois avec les élèves de l’UFAZ, université scientifique où ils apprennent le français. Les élèves étaient de tout niveau. Certains – grands débutants , d’autres de niveau avancé. La difficulté résidait dans le fait de les motiver à aller au devant de leur difficulté notamment de prononciation, d’élocution mais aussi de timidité. Certains n’avaient jamais fait de théâtre, il fallait leur insuffler le désir, l’envie de jouer, de s’amuser, d’incarner un personnage. Ils l’ont tous fait. Ils ont tous trouvé cette part inexplorée en eux, ils l’ont travaillé.

Pour la mise en scène, Lucie Philip a particulièrement travaillé la musique. Elle a superposé deux auteurs, deux siècles, 17ème et 19ème, deux ambiances , chacun à sa façon se moque de l’ignorance, des codes de leur époques. Ils les remettent en question avec ironie.

Pour lier les deux pièces, elle a imaginé qu’à la fin du Bourgeois Gentilhomme, Monsieur Jourdain reçoit une lettre du Karabakh, et comme il ne connaît rien à cette région, il va chercher un maître du Karabakh pour avoir l’air de connaître les lieux cette région sans n’y avoir jamais mis les pieds, tout comme dans la pièce de Akhundzadé, où le père fait mine de connaître les moeurs et coutumes des Parisiens sans même y être allé ! “Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris.”, écrit Molière dans Les précieuses ridicules.

Une première à Bakou, et peut être une future tournée mondiale ?

« Lucie, merci pour une si belle démonstration d’amour pour la culture azerbaïdjanaise. Nous-mêmes, à travers vous – les invités de Bakou – apprenons à mieux nous connaître et trouvons quelque chose de nouveau dans l’habituel. »

Cette appréciation laissée par Nazrin Faig – Manager des relations publiques de l’UFAZ et directrice du club culturel de Bakou, le “Cult Baku Club”, donne une idée du succès rencontrée par la première représentation qui a eu lieu à Bakou le 14 avril. Un succès qui revient aussi aux personnes qui, au sein de l’université, ont soutenu le projet, et à l’ambassade de France. “Je veux aussi remercier tous ceux qui nous ont permis de mener à bien ce projet”, insiste Lucie Philip “ma professeure de danse, Youlia Azimova, le Rus drama theatre et Hayat Kalagai qui ont prêté les costumes , l’association Azerxalcha, qui a contribué au décor, et le Landmark pour la salle”

Ce succès lui ouvre les portes d’autres représentations. Lucie Philip espère mener sa troupe dans d’autres universités d’Azerbaïdjan, dans les ambassades françaises et azerbaidjanaises à Bakou et à Paris, dans les centres culturels français et azerbaidjanais, au sein de l’UNESCO, mais aussi, pourquoi pas, dans les villages et les villes de province de France et d’Azerbaïdjan. Mais seulement. Lucie a encore bien d’autres projets de spectacles. Tant les cultures françaises et azerbaïdjanaises sont riches et complémentaires.

En tous cas, il faut saluer ce genre d’initiative qui devrait, à notre avis, être massivement soutenue par les universités et les ministères de la culture des deux pays. La plume est toujours plus efficace que le fusil, la différence étant que la première rassemble et le second sépare. Lucie Philip encore d’autres projets qui vont en ce sens. Espérons qu’elle obtienne le soutien qu’elle mérite car, comme le dit encore Molière : « Bon droit a besoin d’aide ».